Voilà très certainement l’une des expériences les plus insolites et les plus fascinantes qu’il puisse être donné de voir, que ce soit formellement ou sur le fond... Pour le côté fiche technique : le « film » (je m’expliquerai à propos des guillemets par la suite) a été réalisé en 1961 par le vidéaste-photographe-documentariste, et accessoirement cinéaste, Chris Marker, personnage tout à fait à part dans le paysage cinématographique français, puisque véritable globe-trotter, et donc pas véritablement attaché à la seule et unique culture française. Ce court métrage de 26 minutes prend en fait la forme d’un photo-roman en noir et blanc (il y a tout de même une mini-séquence animée) narré à la troisième personne, les différentes photos se succédant essentiellement en fondu-enchaîné ou en coupe simple. Voilà pour les guillemets...
L’histoire est celle d’un survivant de la troisième guerre mondiale qui, de par sa grande capacité de concentration, est utilisé comme cobaye pour tenter un voyage dans le temps, afin d’y faire passer des vivres ou des médicaments. Cet homme est depuis son enfance fasciné par l’image de la mort violente d’un homme sur la grande jetée de l’aéroport d’Orly, et par celle du visage d’une femme d’une étrange beauté. Dans un premier temps, et pour des raisons pratiques, les voyages temporels se font dans le passé, donnant à l’homme l’occasion de fréquenter cette femme dont l’image l’obsède depuis son plus jeune âge...
Réflexion sur la mémoire (« Rien ne distingue les souvenirs des autres moments : ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître, à leurs cicatrices » est l’une des phrases les plus emblématiques de cette Jetée), et sur la quête de l’amour (hypothétique en ce qui concerne les personnages du film), la Jetée est, ne serait-ce que par son sujet et l’universalité de celui-ci, totalement envoûtant ; envoûtement renforcé par la musique (que ce soit celle composée pour le film par Trevor Duncan, ou celle des chœurs de la cathédrale russe de Paris), la voix du narrateur, les visages des acteurs (une sorte de mélancolie résignée des plus touchantes semble les habiter), par une référence dendrochronologique à l’une des plus belles scènes du Vertigo d’Hitchcock (une des obsessions cinématographiques de Marker), ou tout simplement par l’utilisation du noir et blanc...
Admirateur de L’armée des 12 singes, je ne peux pas me permettre de terminer sans mentionner le fait que le film de Terry Gilliam s’inspire ouvertement de La Jetée. Si cela intéresse quelqu’un La Jetée existe en DVD, couplé à un documentaire réalisé par le même Marker et intitulé Sans Soleil, où, pour l’anecdote, Marker recherche à San Francisco certains extérieurs de Vertigo...
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