Bon, je me lance, et tant pis si je viens plomber l'ambiance dès mon premier post, mais je me DOIS de parler de ce film que je viens de découvrir jeudi dernier. Je me dois de le faire, car c'est tout simplement l'un des meilleurs films que j'aie vus cette année (et Dieu sait si j'en ai vus...), et même vus, tout simplement...
Alors voilà, sur papier, c'est pas franchement excitant: Chantal Akerman (la réalisatrice, donc) nous propose de suivre trois jours de la vie de Jeanne (incarnée par la cultissime Delphine Seyrig), mère au foyer pratiquant la prostitution occasionnelle pour maintenir son train de vie petit bourgeois. Et quand je parle de suivre sa vie, c'est en temps réel, avec camera fixe dans chaque plan (!!!), dans les gestes quotidiens les plus communs (faire la vaisselle, cuire des patates, prendre un bain, etc), ces derniers étant accomplis (dans un premier temps, et c'est là un des intérêts majeurs du film...) avec une régularité métronomique ahurissante (du genre, pendant qu'elle cuit les patates, elle sait qu'elle a exactement le temps de cirer les chaussures de son fils, et de refaire son lit). Si je vous dis que le tournant du film survient quand elle laisse trop cuire ses pommes de terre et que vous ne fuyez pas, je vous en remercie
.
Car c'est le point de départ d'un progressif basculement dans la folie décrit de manière aussi subtile qu'angoissant, chaque geste de son quotidien étant alors comme remis en question, plus rien ne semblant assuré. L'aboutissement logique de tout cela étant un dérèglement total, aussi bien des agissements de Jeanne que de sa psyché. Afin de ne pas spoiler le film pour ceux qui ne l'ont pas vu et qui comptent le faire (je suis certain que vous êtes déjà des milliers
), je ne révélerai pas le climax du film, qui est tout bonnement glacial...
La longueur du film (3h12, quand même!!!), qui peut paraître excessive, est en fait une nécessité dans le processus narratif, puisque le temps consacré à mettre en place le personnage, et à capter la monotonie de sa vie est indispensable pour ensuite en ressentir le subtile délitement. Ce basculement et, a fortiori, ses causes étant, on l'aura compris à ce stade, l'objet même de ce Jeanne Dielman, 23... A noter que ce processus, qui implique le spectateur de manière sidérante, démultiplie les émotions de manière telle que de simples dérèglements (allumer la lumière dans une pièce dont on sort, etc) sont vécus comme étant le comble de l'horreur .
Techniquement, l'austérité du film se situe à tous les niveaux, essentiels du moins. Celui du cadrage: tout en plans fixes, donc; du montage: des coupes simples, et c'est bon comme ça; du jeu des acteurs: en même temps, on voit mal Delphine Seyrig en faire des brouettes quand elle reproduit les gestes du quotidien; et de la musique: intra-diégétique uniquement, elle se résume, et ce n'est nullement un hasard à une horrible chanson style Edith Piaf, et à Lettre à Elise (si quelqu'un connait une pire rengaine... ). Restent la photographie, par ailleurs très élégante, et le son, assez logiquement anonyme.
Inutile de préciser que la visée de ce film n'est pas de divertir qui que ce soit, mais bien de faire réfléchir sur la condition de la femme, et sur l'aliénation que peut représenter la vie de femme au foyer. Oeuvre phare du cinema féministe, ce film est pour ma part une véritable révélation, et il figure désormais au panthéon de mes films cultes. Au même titre que Crià Cuervos, Punishment Park, Apocalypse Now, et autre There Will Be Blood, sur lesquels j'essayerai, entre autres, de revenir.